Description

Description

Aux heures sombres de la défaite militaire de juin 1940

 Aux heures sombres de la défaite militaire de juin 1940, les réserves d’or de la Banque nationale de Belgique, confiées à la France et embarquées dans l’urgence pour les Etats-Unis, sont détournées sur l’Afrique Occidentale Française par le gouvernement de Vichy avec les réserves d’or des pays précédemment occupés par l’envahisseur. En octobre, la conférence franco-allemande de Wiesbaden s’accorde sur la cession de l’or belge à l’Allemagne pour financer son effort de guerre, et le renvoi des caisses à Berlin. C’est le prix imposé à Vichy et à la Banque Nationale de France pour que les soldats français prisonniers des camps en Allemagne puissent rentrer au pays. Une illusion.

Cependant, les Anglais surveillent l’océan. Le retour prendra dix-huit mois et vingt-quatre convois avant que la totalité des 220 tonnes d’or déplacées au Soudan français, aujourd’hui le Mali, gagnent Alger par le fleuve Niger et par le Sahara avant d’atteindre par avion et par train la capitale du Reich.

L’AOF n’est pas en guerre. Les autorités de la colonie d’Afrique occidentale française exécutent ponctuellement le plan convenu. Dès lors, pourquoi ces inspecteurs allemands des devises sur les flancs des convois ? Préparent-ils autre chose ? Georges Cartuyvels, géologue au Congo, collectionneur d’art africain et, qui plus est, anticolonialiste, est enrôlé pour la bonne cause et va tenter de le savoir…

Malgré la guerre en Afrique, dans les colonies, les Noirs et les Arabes sont peu concernés par cette histoire, mais il ne leur a pas échappé que les guerres européennes annoncent le déclin des puissances coloniales…

Fable de l’or, roman à thèse, roman « africain » et conte philosophique, roman de guerre et d’aventure évoluant sur la toile de fond d’un épisode méconnu de l’histoire belge du XXe siècle, Une symphonie Or, s’annonce, par analogie avec l’art musical, comme un opéra ou encore un poème symphonique dont il a repris la structure en trois mouvements, allusion faite à la symphonie Faust en trois études de caractère, œuvre orchestrale composée par Franz Liszt, inspirée du Faust de Goethe.

Aux trois personnages de la symphonie Faust – Faust, Gretchen (« Eh bien, dis-moi, comment fais-tu avec la religion ? ») etMéphistophélès – Une symphonie Or répond par ceux de Cartuyvels, de Myriam et du Lorrain, celui que surnomment Albéric ses hommes du commando des Nibelungen.

Au sombre personnage, basse d’opéra, qu’est Albéric, incarnation de la raison d’Etat, le livre oppose Paul Hauff, le capitaine d’aviation qui est dans le mauvais camp mais vit avec Myriam une romance éphémère emportée par la guerre. Au sommet de la hiérarchie, là où se trame l’histoire, se rencontrent tour à tour Pierre Laval et son ministre Bouthillier, Janssens, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, les gouverneurs généraux de l’Afrique Occidentale Française et du Congo, dont la place et les intérêts dans la guerre se font face, des fonctionnaires, des militaires et des marins sans gloire, en attente de combats qui ne viennent pas, et loin des intrigues de Léopoldville et de l’ennui des terrasses de Dakar, les redoutables Nibelungen entraînés au désert pour réaliser le coup de main conçu par leur chef, le Lorrain.

LE MOT DE L'AUTEUR

Philippe Cantraine accueillant le philosophe Souleymane Bachir Diagne

Philippe Cantraine accueillant le philosophe Souleymane Bachir Diagne

 Un jour, le Président Abdou Diouf me demanda de passer le voir dans son bureau. Il me fit asseoir et, me mettant dans les mains un catalogue de belle taille que le Président Chirac, son ami de longue date, lui avait adressé sous dédicace, me demanda d’y jeter un coup d’œil, attendant voir si j’allais y relever ce que les deux anciens chefs d’Etat y avaient retrouvé eux-mêmes.

Il s’agissait du catalogue de l’exposition que le musée d’Afrique centrale de Tervuren avait consacré, cette année-là, à Edmond Dartevelle, explorateur belge du Bas-Congo, qui vécut dans la première moitié du XXème siècle, et que, depuis l’été, le musée Jacques Chirac mettait à l’honneur à Sarran, en Corrèze. L’intention des deux musées était louable. Ils s’étaient entendus pour faire découvrir un homme remarquable, dont les descendants sont connus aujourd’hui pour les belles salles d’art africain qu’ils proposent à Bruxelles, au Sablon. Ceux-ci avaient mis à disposition de l’exposition les objets personnels et les pièces rapportées d’Afrique par le collectionneur, qui rappelaient l’aïeul et que la famille avait conservés.

 J’emportai le catalogue et mis le nez dedans pour le ressortir passablement ému lorsque j’eus découvert, en la personne de Dartevelle, un humaniste passionné du continent qu’il avait visité en géologue de métier, mais aussi un homme qui s’était mis à l’écoute des Africains de qui ses missions d’exploration l’avaient rapproché. Ennemi de la bureaucratie et de la pratique coloniales, le colon de rencontre, chez lui, s’était fait anticolonialiste, et le géologue au fait des langues du Bas-Congo et des régions voisines un passionné avant la lettre des arts premiers. Je trouvai à ce héros intrépide, venu cent ans plus tard, une analogie certaine avec cet autre savant voyageur dont j’avais raconté la vie dans Le Gouverneur des coquillages, roman que j’avais publié quelque temps auparavant. De part et d’autre, se profile un esprit éclairé et un caractère fort, voué à la connaissance et à l’émancipation des hommes.

Je me mis un temps en tête d’écrire, sous une forme romancée, une biographie de Dartevelle. C’était un projet digne de constituer un prolongement tonique à mes activités professionnelles, et même d’ajouter une lampe témoin à l’action menée par la Francophonie au nom de valeurs qui se retrouvaient également dans l’exposition de Corrèze. Dès que je pus, je pris le train de Brive-la-Gaillarde et pris la route de Sarran.  

 Tout cela aurait été trop simple. D’abord, il m’apparut qu’il me faudrait de préférence disparaître des mois durant dans les forêts équatoriales, au milieu des moustiques, pour mener à bien mon projet et le mériter. Je n’en avais, ni le temps, ni les moyens, et n’y étais en rien préparé.

Ensuite, je me convainquis rapidement que la biographie d’Edmond Dartevelle qui figurait dans le catalogue, et dont la famille s’était chargée, quoique relativement succincte était déjà très suggestive. Elle faisait même œuvre littéraire et y mettait beaucoup d’élégance, de justesse et de sensibilité dans son plaidoyer.

 Il me fallait donc aborder le personnage de mon roman différemment, avec une typologie du caractère humain suggérant une posture convaincante où pourrait se retrouver un personnage qu’il me restait à inventer.

C’est alors que, fruit inopiné de recherches impénitentes à propos de tout et de rien, survint un troisième facteur perturbateur. Des éléments nouveaux apparurent, que je n’aurais pu prévoir, et qui, sans la défaire, tout au contraire, interférèrent avec mon entreprise. Je découvris l’histoire insensée de la cession aux Nazis des réserves d’or belge entreposées en Afrique par le gouvernement de Vichy.

Transféré entre l’hiver 41 et mai 42 à travers le Sahara, soit un voyage de 5.000 km étalé sur dix-huit mois, le butin, considérable, aboutit dans les mains de Goering, à Berlin, comme s’y étaient engagés Laval et Darlan.

Il ne m’apparut pas possible, de prime abord, d’en tirer matière à autre chose qu’un travail d’historien, chose qui n’était guère de ma compétence et devenait inutile puisqu’il venait d’être réalisé en néerlandais par Walter Pluym, inspecteur général retraité de la Banque Nationale de Belgique, avec le soutien du Davidsfonds. L’avaient précédé le récit publié par G. Cornu dans "Les Cahiers anecdotiques de la Banque de France" en 2002, et l’opuscule de P. Kauch, chef du département des études de la Banque Nationale de Belgique, intitulé " Le vol de l’or de la Banque Nationale par les nazis ", publié par la revue du personnel de la BNB en 1956 (N° I et 2).

En revanche, il ne m’apparut pas impossible d’en tirer matière à une chronique, une dénonciation écœurée, un roman de gare ou d’espionnage, que sais-je encore ? ou tout cela ensemble… Tout ce que j’avais en main pouvait guider, avec beaucoup d’imagination, le projet de roman « africain » que je méditais. Comment concilier un personnage cantonné au Bas-Congo et ses abords avec un trafic d’or en pleine guerre mondiale à travers le Sahara ? Edmond Dartevelle ne pouvait ici m’apporter aucune suggestion. Il était rapatrié en Belgique à la mobilisation, et, entré dans la résistance dans la Belgique occupée, il fut poursuivi et torturé par la Gestapo de Bruxelles. Il ne retrouva l’Afrique que plus tard, après la guerre, pour un dernier séjour. Même en partant de la typologie humaine dont j’ai parlé plus haut, un explorateur actif au Congo ne trouvait place nulle part dans l’odyssée de l’or belge volé, sauf à l’imaginer. C’est là ce que j’ai fait : me vouer à la construction d’un personnage de mon cru, témoin bon à citer d’une Afrique et d’une situation qu’il ne connaît pas et qu’il découvre, mais entièrement destiné à la fiction.

 Une symphonie Or a de la sorte deux entrées : l’une, au Sénégal, conduit à l’or belge volé, tel que, du côté des acteurs et des victimes, le romancier ose en tirer argument. L’autre, depuis l’ancienne colonie belge où l’on ne manque pas de s’émouvoir des malheurs de la patrie, s’ouvre sur la recherche de témoins de la funeste opération de l’or pour témoigner au tribunal de cette malheureuse histoire. Car il y eut plainte à New-York, venue de la Banque Nationale de Belgique contre la Banque de France, et il fallut attendre la Libération pour l’affaire soit conclue. La Belgique rentra dans son dépôt grâce aux listes comptables retrouvées par les Américains en Allemagne et par l’intervention du général De Gaulle.

C’est cette seconde porte qui livre passage à Georges Cartuyvels, le protagoniste sans héroïsme inventé et raconté de cette fable, que j’ai entrepris d’arracher à sa vie et à ses secrets. Incrédule mais consciencieux, ignorant de l’utilité de sa mission – tout est joué ! l’or arrivera à destination –, sinon rappeler que notre terre violente ne peut être abandonnée au cynisme, à l’absence d’espérance et au non-droit, je l’ai mis sur les routes du Soudan français qu’il connaît mal pour y assurer la mission d’enquête qui lui a été attribuée. En somme, il est comme nous tous : il fait ce qu’il a à faire et le fait aussi bien que possible à partir de ce qu’il peut en savoir, pion sur un échiquier dont les coups sont conduits d’ailleurs et de plus haut… Face à lui, les méchants savent pourquoi ils sont là, agissent dans l’ombre et préparent, sur le flanc des convois, un coup de main, lui-même de pure fiction, plausible s’il est quelque vérité à dégager de la fable, récit dans le récit qui assure à celui-ci sa part d’aventure, son lot de rebondissements et… une certaine actualité.

LES QUESTIONS DE JOSEPH BODSON

1)      D’où te vient cet intérêt – quasi permanent – pour l’histoire ? Et pour une histoire très diversifiée : La Belgique de 1830 – l’époque napoléonienne ou révolutionnaire – et à présent, la guerre de 1940 ?

L’histoire par la géographie et la géographie par l’histoire, plus exactement. Le déplacement dans l’espace-temps du voyage, ce qui fait qu’il ne faut peut-être pas trop se fixer sur l’histoire, mais sur l’imaginaire poreux et « fabulateur » qui guide ma prose de l’un vers l’autre texte, protagoniste, paysage…

Précisons que, avec un grand-père dans les tranchées, un père résistant, une formation qui, dans nos écoles à l’époque, liait littérature, histoire, et géographie comme le livre ouvert de la nature et de l’activité humaine, je me suis passionné très tôt pour les trois et adoré voyager.

J’a joute que mes années de scolarité entre douze et quinze se sont passées dans une école qui offrait une vue immédiate du champ de bataille de Fontenoy, resté alors encore une belle campagne que routes et industries n’avaient pas défigurée. 

2)      Romancier, tu narres des évènements historiques qui sont, peut-on dire, emblématiques : que ce soit l’idée de progrès dans l’avancement des sciences, la passion de la liberté ou bien, ici aussi, la défense du monde libre contre Hitler et Pétain. Ëut-on dire que tu fais de l’histoire engagée, comme Sartre et Camus pouvaient en faire ?

C’est dans l’écriture que j’ai trouvé le moyen le plus adapté à ma nature de défendre les idées qui m’importent comme citoyen et comme humaniste. Je ne puis rester indifférent à la fragilité des valeurs humanistes et je les défends avec les moyens dont je dispose. Souci pédagogique et cadre éthique qui sont mes repères. C’est très modeste en fait.

3)      Peut-on dire que d’une certaine façon tu t’incarnes dans l’un ou l’autre de tes personnages ? Lesquels ?

Sans doute ceux qui, impliqués dans l’action, se réservent toujours une marge critique, compatissent, s’engagent mais ne s’accordent pas le droit d’engager les autres. L’ironie de l’histoire dont parle Hegel passe d’abord par une ironie dirigée vers soi-même. Dans le roman, le Lorrain se brûle lui-même en détruisant les autres.

4)      Les lieux, de la prison de Toussaint Louverture au désert : un certain goût pour le dépouillement, du moins dans le paysage ?

Sans doute pour dégager le propos et la pensée qui le sous-tend de ce qui ne les clarifierait pas. C’est qu’il me faut me discipliner moi-même ! L’esthète sinon se perdrait dans la beauté d’un

Monde que je perçois comme foisonnant. Mon mythe personnel me guiderait plutôt naturellement vers les forêts et les vignobles, ou à l’inverse vers les microcosmes insulaires et l’univers luxuriant du rêve.

5)      L’action est, dans ce roman, me semble-t-il, plus rapide, avec davantage de retournements. Dans le Gouverneur, comme chez Kleist et Louverture, c’était surtout un conflit d’idées. Ici, à certains moments, les faits se précipitent.

C’est que la démarche adoptée n’a pas empêché le poète de se laisser aller à sa veine épique. C’était d’ailleurs un « emballement » utile au tempo musical de cette symphonie, au dernier mouvement, comme de juste rapide, et qui tient aussi, pour la couleur, de l’opéra.

6)      Il y a aussi des intrigues secondaires, comme celle, très émouvante, de la p.190. Finalement, c’est un peu, par ricochet, un tableau de la France en guerre ?

Certainement, mais avec une caractéristique particulière : l’AOF est dans les mains de Vichy, et « l’Etat français » n’est pas en guerre… Le livre est la rencontre de deux réalités : la déliquescence de la collaboration dont seuls les Allemands profitent, et le caractère absolu(tiste) du colonialisme engagé dans l’effort de guerre. C’est pourquoi ma critique de la colonisation n’est pas outrancière. Difficile de la défendre dans des conditions où son application est intégrale.

7)      Et puis, p. 245, cela tient de la guerre secrète, du roman d’espionnage auquel tu t’es fort bien adapté. Comment as-tu fait ? T’arrive-t-il d’en lire ?

J’en lis beaucoup. Certains auteurs l’ont fait entrer dans la littérature, comme John Le Carré, Graham Greene ou Alan Furst, trois Anglo-saxons. Faute de guerre ouverte, c’était la solution trouvée pour mon livre. C’est ainsi que se révèle la déliquescence de Vichy et la vanité  de la mission de Cartuyvels. C’est que les lignes se sont déplacées, que l’ironie est la meilleure des armes face au cynisme et que, comme chez Sciascia ou Le Carré, le héros est celui que l’affaire dépasse et qui se voit pris au jeu qu’il se résout à interpréter faute de maîtrise de la situation. Autrement dit, en termes littéraires, du narrateur dont la fonction littéraire de celui qui saurait tout, fonction démiurgique, n’aboutit pas. Nous agissons tous dans le réel complexe selon des valeurs et des comportements qui ne peuvent se fonder sur la connaissance complexe des situations car les causes et les hiérarchies largement nous échappent. Morale de l’histoire, ceci plaide d’autant plus pour une attitude humaniste de chacun car l’important est d’agir en âme et conscience là où nous sommes, avec sérieux, honnêteté et modestie. Les têtes cruelles, même si elles font preuve d’intelligence,  tuent parce qu’elles ont déjà accepté de mourir. A mes yeux, c’est la seule marque de respect à laquelle elles ont droit.   

"La Guerre de l’Or" par Ghislain COTTON in Le Carnet et les Instants, N° 181, du 1er avril au 31 mai 2014.

On ne résume pas le livre de Philippe Cantraine. Il évoque – ou plutôt accompagne avec un grand luxe de détails – une odyssée saturée de ruse et d’opportunisme politique, mais qui s’attache aussi à plusieurs destins particuliers. Au centre de la toile : l’or des banques, notamment française et belge, planqué en Afrique-Orientale française en 1940 après des péripéties franco-britanniques rocambolesques, pactole revendiqué par l’Allemagne avec la bénédiction du gouvernement de Vichy. Le récit débute à Kayes, ville maritime de l’actuel Mali, où l’or, ou du moins une partie importante, est entreposé dans un hangar. C’est là que le Hauptmann Paul Hauff, pilote chevronné de la Luftwaffe, atterrit discrètement avec son Messerschmitt et, parvient, après quelque temps, de nuit et tout aussi discrètement, à faire transporter les lingots à bord d’un hydravion. Et cela avec la benoîte complicité de l’autorité française locale, inféodée à Vichy. Ce n’est que le tout début de cette extraordinaire aventure qui prendra des proportions tragiquement ubuesques sur ce sol africain. Et qui mobilise (entre autres personnages dont Cantraine sonde les reins et les cœurs avec subtilité) Georges Cartuyvels, prospecteur de sites archéologiques, et volontiers philosophe.

Il est venu du Congo belge, mandé par le Gouverneur Ryckmans pour exécuter une mission plutôt vague concernant le sauvetage de ce trésor national. Mission qui s’avèrera une mystification tactique dans un contexte où l’on ne se faisait plus guère d’illusions sur le sort de cet or. On découvre avec un rien d’effarement cet épisode complexe et mal connu de la guerre où, comme toujours, duplicité et cynisme vont de pair avec courage et loyauté. Récit prenant, même si sa membrure tentaculaire requiert une attention soutenue parfois distraite par l’élégance chantournée de l’écriture.

Philippe CANTRAINE, Une symphonie or, Avin, Éditions Luce Wilquin, 2014, 315 p.

https://le-carnet-et-les-instants.net/

L'AVIS DE L'AMI, DANIEL SOTIAUX, Président de la Fondation Henri La Fontaine

 Très cher Philippe,

 Je n’ai pas oublié notre dernière conversation ni ton mot de fin novembre, mais, une fois de plus, le quotidien m’a absorbé et empêché de réagir comme je l’aurais aimé.

Mais avant tout, même si c'est en principe trop tard, tous mes bons voeux pour 2015 ! Que tout aille pour le mieux pour toi ....

Je reviens donc à ton livre. Comme je te le disais, j’ai trouvé que c’était un ouvrage évident dans le sens où je m’étonne qu’un pareil sujet n’ai pas, depuis longtemps, vu sa trame dramatique, fait l’objet d’écriture ou, mieux encore, de traitements cinématographiques (ton livre est un scénario!). Quoi qu’il en soit c’est toi qui a exhumé le sujet et je m’en réjouis. Inutile de te dire que je me suis senti comme un poisson dans l’eau puisque, outre la Belgique, j’ai vécu au Congo Kinshasa et au Sénégal. J’ai donc particulièrement apprécié ton regard, le sens du petit détail qui fait d’un cadre une toile vraie et vécue. Bravo pour cela aussi.

Et puis, comme dans ton précédant roman, j’ai particulièrement aimé que tu plonges le lecteur dans un moment charnière de l’histoire des hommes. Tout comme ton Gouverneur ballotté entre les Nations, le héros d’une Symphonie Or nous plonge dans cette période de l’histoire qui va aboutir aux Indépendances. J’aime ce tâtonnement de l’esprit et le rappel que personne n’a jamais la totalité de la clairvoyance historique. Aussi que les deux côtés du monde, le blanc et le noir, ont en partage des bribes de savoir qui n’attendent qu’à se retrouver. Aujourd’hui le fossé entre l’Occident sécularisé et le Monde musulman n’est-il pas du même ordre ? Reste à savoir comment et pourquoi on parvient le jour donné, le fameux momentum, à prendre ou non le sens de l’Histoire. Combien resteront en gare à attendre le train –trop tard- suivant ? C’est la question de l’engagement loin des héros (en ce moment je relis L’insurgé de Jules Vallès).

En fait sur cette hésitation coloniale, sur ce moment où la lucidité apparaît (enfin), il ne me semble pas avoir lu beaucoup de textes pertinents. Les historiens ont fait leur travail ; reste maintenant aux romanciers à dramatiser et à nous fournir non une explication, mais une expérience singulière. Ton personnage est de cette trempe.

Te dire aussi  que, comme pour le Gouverneur, j’aime ton écriture, sa distance, mais aussi, n’est-ce pas une part essentielle du monde, son humour. Et puis, elle fait bien ressortir ce temps par excellence africain, l’attente dans l’air chaud. J’y retrouve les traces du temps de Meursault dans L’Etranger. On y revient toujours. Sans la compréhension de cette chaleur qui rend inutile certains jugements et encore plus encore certaines actions, il est impossible de comprendre le momentum.

Merci cher Philippe de ce partage.

Et déjà j’attends tes autres opus.

Toutes mes amitiés

Daniel Sotiaux.

AFRICULTURES

Lire et penser. Une Symphonie Or de

Philippe Cantraine

PAR Lylian KESTELOOT

PUBLIÉ LE 11 OCTOBRE 2017 -  CRITIQUE

Lilyan Kesteloot propose, régulièrement, pour Africultures, une plongée dans des essais ou des œuvres fictionnelles. Elle nous livre, ici, sa lecture du roman, Une Symphonie Or, de Philippe Cantraine. 

Voici un beau roman qui entre parfaitement dans la catégorie indo-américaine de « post-coloniale » (Homi Bhabba), qui, en France, peut désigner à peu près n’importe quelle forme d’expression écrite ou verbale. En effet, l’auteur est un européen (belge) venu en Afrique après les indépendances, comme cadre fonctionnaire international. Son roman porte sur un fait très antérieur, situé au temps de la guerre franco-belgo-anglo-allemande (1939-1945). Il s’agit des réserves d’or des banques françaises et belges que l’Allemagne exige en raison de sa victoire incontestée sur les Alliés, et pour prix de la paix, et d’une occupation qui s’arrête à la moitié de la France (Vichy). Le roman de Ph. Cantraine met en scène les circonstances improbables qui conditionnèrent le choix et le transfert de l’or belge au gouvernement d’Hitler.

Les lieux et l’action ? La France, l’Allemagne,  le Sénégal, le Mali, le Congo Belge… Car si une partie de l’or des banques françaises est envoyée sous bonne garde en Martinique, une autre partie rejoint celle qui est déjà conservée à Thiès, à 50km de Dakar, capitale de l’AOF. Et l’or des banques belges, confié (Dieu sait pourquoi) à la France, se trouve justement dans ce convoi qui rejoint le Sénégal.

L’action ? Ou  plutôt son moteur et son objectif : la France a décidé de commencer par l’or belge pour régler sa « dette » à Hitler. L’or français suivra certes, mais le plus lentement possible. Les aventures de ce transfert et des personnages qui s’en occupent forment la trame de cette étrange histoire.

Mais ce sont les personnages, allemands, français, belges, que Philippe Cantraine charge d’exprimer leurs attentes. Tandis que les siennes sont portées par un drôle d’ethnologue plus congolais que belge, envoyé à Dakar par le gouverneur Rykmans afin de s’informer discrètement sur les rumeurs parvenues jusqu’à Léopoldville concernant les mouvements de cet or belge….

A la manière d’un roman policier

Histoire assez scabreuse, en vérité, où les Allemands pleins de morgue, des Français pleins de ruse, jouent à cache-cache avec, parmi eux, des Africains méfiants et des Belges perplexes et impuissants.

Ainsi notre ethnologue s’insinue à Dakar, sous prétexte de recherches archéologiques à l’IFAN (Institut français d’Afrique Noire), de rencontrer Théodore Monod (en mission) et découvre un chercheur africain qui le met au courant des problèmes que posent les Hammalistes, section dissidente de la confrérie Tidjane.  Mais obligé de quitter cette piste intéressante  il devra s’appliquer à suivre le trajet cahoteux, par trains, camions, chameaux, des caisses de lingots belges. Ceux-ci seront acheminés incognito à travers le Mali (Kaye, Bamako, Mopti, Tombouctou), puis l’Algérie par El-Goléa, pour rejoindre la base allemande de Rommel, en Afrique du Nord.

Ce livre est un espèce de roman policier psychologique, à la manière de John Le Carré, dont les acteurs très contrastés ont pris corps au point qu’on se demande si cette histoire est vraie, et jusqu’où, et si ces personnages – dont certains sont connus, ont réellement joués ces rôles ambigus. Demandez-le à l’auteur, il vous opposera la liberté du romancier de traiter l’Histoire à sa guise !

Post-colonial, ce roman, l’est par la distance réelle entre les événements et l’instant où on les relate. Ce qui permet d’y introduire un certain humour qui les dédramatise. Cequi permet aussi à l’écrivain sensible de s’arrêter, de méditer sur la guerre et ses aléas, sur la colonisation, sur les parties en présence et le gouffre d’incompréhension qui les sépare : les vainqueurs des vaincus, les Blancs des Noirs.

Belle fresque dont l’écriture assez sophistiquée nous rappelle des qualités de style, trop souvent perdues dans les récits contemporains qui privilégient le langage parlé.

Partagez cette page